Des Mondes Imaginaires

Des Mondes Imaginaires

AT pour les éditions cauchemars en mars 2011 - thème : conte macabre

L'enfant perdu.

 

  Un conte pour enfants ! Dix ans que je publie des romans policiers et ils me lancent un challenge ! Ecrire un conte pour enfants ! Décidemment, ces éditeurs avaient de drôles d’idées.

Je relèverai le défi. J’avais déjà trouvé le titre : L’enfant perdu.

 

 

 

Je m’appelle Laura. Je suis écrivain de profession. Je passe l’essentiel de mes journées dans mon bureau à écrire. J’évite les embouteillages le matin. Et oui ! Mon bureau se trouve à l’étage de notre maison située en pleine campagne lilloise. Quelle chance de pouvoir travailler chez soi !

 

Sauf en ce moment. Pleine période de vacances scolaires. L’horreur.

 

Comprenez-moi. J’ai trois fils : Lucas, huit ans et les jumeaux nés il y a deux mois : Corentin et Elliot. Mon mari Damien travaille dans une boîte d’imprimerie dans la métropole. Autrement dit, je dois à la fois gérer les enfants et écrire ce fichu conte. Ça ne va pas être de tout repos.

 

 

 

Huit heures du matin. Damien part pour le boulot. Je vais pouvoir commencer à écrire. Les enfants sont encore entrain de dormir.

 

Il était une fois, dans des contrées lointaines, un enfant qui s’appelait…

 

-          Mamannnnnnnn !

 

Flûte ! Encore raté ! Je ne commencerai jamais ce fichu bouquin !

 

-          Il n’est pas l’heure Lucas. Rendors-toi, tu vas réveiller tes frères !

 

-          Mamannnnnnn !

 

Je me dirigeai vers la porte de sa chambre. Lucas pleurait.

 

Je passai rapidement de l’énervement à la frayeur. Lucas avait les mains pleines de sang. Le miroir de sa chambre était brisé et du verre gisait sur le sol.

 

-          Que s’est-il passé ?

 

Je n’eus aucune réponse. Je commençais vraiment à me demander s’il n’était pas grand temps de l’emmener voir un psychologue. Depuis la naissance des jumeaux, Lucas avait un comportement de plus en plus étrange. Sa maîtresse m’avait fait part de ses accès de violence. Il frappait, mordait, crachait, griffait ses camarades de classe. A la maison, je le surprenais à parler tout seul, à arracher les ailes des mouches, à s’isoler dans sa chambre. Il fallait que j’en parle à Damien le plus vite possible. En attendant, direction l’hôpital.

 

Nous sommes rentrés aux alentours de seize heures. Huit heures aux urgences pour huit points de suture. Mieux vaut ne pas être pressé! Damien essaya de parler avec Lucas toute la soirée mais sans succès. Il jouait la carte habituelle de l’isolement intérieur. Nous réessayerons demain.

 

Deux jours passèrent sans que nous ne puissions avoir une conversation avec notre Lucas. Il se bornait dans son mutisme. Tant pis. Mon médecin de famille m’avait dit d’attendre. Qu’il était peut-être en pleine crise de jalousie à cause de la naissance des jumeaux. Possible. Cela expliquerait ses comportements récents. La jalousie.

 

 

 

Mercredi. Lucas jouait dans le jardin avec Looping. Looping, c’est notre chien. Le plus fidèle compagnon qui soit. Nous l’avons acheté peu avant la naissance de Lucas.

 

J’étais occupée avec les jumeaux. Pendant que Corentin était dans son transat, je lavais Elliot. Je venais de terminer de le laver et commençais à l’essuyer quand Lucas arriva dans la salle de bain hors d’haleine :

 

-          Maman ! Un monsieur est rentré dans le jardin. Il a tué Looping. J’ai rien pu faire !!!

 

Abasourdie par ce que je venais d’entendre, je décidai de regarder par la fenêtre en direction du jardin. Looping gisait sur le sol. Une sueur froide parcourut mon corps. Je m’enfermai dans la salle de bain avec les enfants et appelai la police.

 

-          Madame, êtes vous bien certaine qu’il ne s’agit pas là d’une querelle de voisinage ?

 

-          Mais puisque je vous dis inspecteur que nous nous entendons très bien avec nos voisins !

 

Voilà la conclusion du rapport de police : un intrus – sans doute un voisin qui en aurait eu assez des aboiements – a pénétré dans le jardin. Il a pris un outil qui se trouvait sur la terrasse, plus précisément une griffe piocheuse et l’a plantée dans le cou de l’animal à plusieurs reprises. Le chien est mort des suites de ses blessures.

 

J’étais outrée. Cette enquête n’avait pas été plus loin que l’observation des faits. Les policiers avaient écouté mon fils sur sa version des faits mais ils ne s’étaient même pas donnés la peine de faire un relevé d’empreintes sur l’outil. « Ce n’est qu’un chien » m’avait-on dit ! Peut-être, mais ça aurait pu être mon fils !

 

Damien essaya de me rassurer toute la soirée mais en vain. Je ne me sentais plus en sécurité maintenant. Heureusement, demain serait un autre jour.

 

 

 

Lucas vint me réveiller ce jour-là. Je n’avais pas entendu Damien se lever et mon réveil n’avait pas sonné. J’avais vraiment mal dormi. J’avais fait des tas de cauchemars. Ce n’était pas Looping qui était allongé par terre mais Lucas. Il gisait dans le jardin dans une mare de sang.

 

Je décidai d’aller chercher les jumeaux afin de me changer les idées. Elliot était déjà réveillé. Il m’observait en me faisant de grands sourires. Son sourire me remonta le moral. Je le pris dans mes bras et le câlina. Je changeais la couche d’Elliot puis le reposais doucement dans son lit.

 

En m’approchant du lit de Corentin, je me rendis compte que sa gigoteuse lui cachait le visage. J’entrepris de baisser la fermeture quand un hoquet m’échappa. Le visage de Corentin était bleu.

 

BLEU.

 

 

 

Prise de panique, je pris Corentin dans mes bras et l'installai sur la table à langer. Je posai ma joue au dessus de sa bouche entrouverte mais rien. Aucun souffle. Je m’empressai de le déshabiller puis posai mon oreille sur son petit torse. Son cœur ne battait plus.

 

 

 

15. Je composai le numéro du SAMU.

 

 

 

Damien arriva peu de temps après le SAMU. J’entendais à peine ce qui se passait autour de moi. Un médecin m’avait confirmé tout ce qu’une mère peut craindre le plus au monde : la mort de son bébé. Corentin était mort. La mort subite du nourrisson d’après le médecin. La plus traître des morts. J’étais dans un état second. Mon médecin me prescrit des anxiolytiques accompagnés d’antidépresseurs. Cela m’aiderait, avait-il dit à mon mari.

 

Les premiers jours qui suivirent la mort de Corentin, j’étais un vrai légume. Je vivais sans être vivante. Je pleurais tous les jours, continuellement. Ensuite, les cachets firent leurs effets. Je recommençais à manger. Damien faisait tout pour me faire remonter la pente.

 

-          Nous avons besoin de toi, chérie. Il y a encore Elliot et Lucas. Ils ont besoin de leur maman.

 

Damien avait raison. Je devais me battre. Pour mes enfants. L’enterrement de Corentin fut une étape difficile mais cela me ramena à la réalité. J’avais deux autres fils. Un mari qui m’épaulait. Il fallait que je fasse mon deuil. Pour Corentin. Pour mes enfants. Pour mon mari. Pour moi.

 

 

 

Trois mois jour pour jour s’étaient écoulés depuis la mort de Corentin. Je commençais à reprendre goût à la vie. Elliot grandissait à vue d’œil. Lucas s’était assagi. Damien faisait le maximum pour rentrer tôt le soir et nous passions de longues soirées à quatre. Enfin à trois. Lucas préférant toujours sa chambre au salon. C’était les vacances d’été, les garçons étaient donc avec moi à la maison. Le matin, nous avions préparé des gâteaux au chocolat avec Lucas.

 

Quatorze heures. J’emmenai Elliot dans sa chambre et le couchai pour sa sieste. Quelle chaleur ! J’avais dû ouvrir les fenêtres car la température était intenable. Je rabattis les volets en les laissant légèrement entrouverts afin qu’un filet d’air passe.

 

Lucas était dans sa chambre, comme toujours. Ça avait été dur ce matin pour l’y déloger et partager ce moment de cuisine en famille. Il semblait plutôt sage.

 

Je retournais donc à mon bureau afin d’y poursuivre l’écriture du conte pour enfants.

 

 

 

Je n’avais pas vu l’heure passer ! J’entendis Damien rentrer du travail. Il était déjà dix huit heures.

 

-          Bonjour mon ange.

 

-          Bonjour. Bien travaillé ?

 

-          Oui. Il faisait une de ces chaleurs au boulot ! Mais où est Elliot ? Il n’est pas avec toi ?

 

-          Non. Je travaillais, je n’ai pas vu l’heure. Il doit encore dormir, il n’a pas fait un bruit.

 

Nous longeâmes le couloir pour atteindre la chambre d’Elliot. Au passage, Damien embrassa Lucas qui était assis dans un coin de sa chambre. Ce dernier ne regarda même pas son père.

 

Nous rentrâmes ensuite dans la chambre d’Elliot. Les volets étaient fermés. Etrange, je les avais pourtant laissés entrouverts. Je me dirigeais vers la fenêtre quand quelque chose au sol me fit glisser. Je faillis tomber à la renverse. Je m’empressais d’ouvrir les volets quand Damien poussa un hurlement.

 

Du sang. J’avais glissé sur du sang. Il y en avait partout dans la pièce. Par terre. Sur les murs. Dans le lit. Elliot baignait dans une mare de sang. Sa tête était recouverte d’un coussin mais on distinguait sa gorge. Elle avait été tranchée à l’aide d’un couteau qui se trouvait visiblement sous ses draps. J’en apercevais la forme. Le manche. La lame. C’en était trop. Mon corps ne supporta pas. Je m’évanouis.

 

 

 

Un mois plus tard.

 

 

 

J’avais tenté de mener ma propre enquête. Un échec total. La police n’avait trouvé aucune trace du meurtrier de mon fils. Aucun ADN dans la chambre d’Elliot à part celui des membres de la famille. Logique. Aucune empreinte sur la lame du couteau sauf les nôtres. Forcément.

 

J’avais bâti une liste complète de tous nos éventuels ennemis. De tous ceux qui auraient pu nous vouloir du mal. Mais qui aurait pu vouloir du mal à un écrivain et à un employé d’une banale imprimerie ?

 

Tout cela n’avait pas de sens.

 

Enfin si. Depuis quelques jours, j’avais une hypothèse. Je l’avais expliquée à Damien mais il s’était fâché :

 

-          Cesse donc de chercher ce que même les policiers n’ont pas pu trouver ! Tu me rends fou avec toutes tes divagations ! Accepte que le mauvais sort s’abatte sur nous. Qu’un cinglé ait vu notre fenêtre ouverte, qu’il ait pénétré chez nous pour tuer notre enfant. Voilà la réalité ! Que tu culpabilises d’avoir laissé la fenêtre ouverte, d’accord. Mais que tu t’imagines qu’il s’agisse de la reconstitution d’un de tes romans, c’est du pur délire !

 

 

 

Pourtant, j’en étais sûre. Les faits étaient quasi identiques à ceux de mon roman Meurtre en série. Je l’avais écrit pendant ma première grossesse. Dans l’histoire, cela commençait avec le chien des propriétaires. Il était retrouvé mort empoisonné dans le jardin. D’accord, ce n’était pas tout à fait exactement dans les mêmes circonstances que Looping mais le lieu était le même. Plus troublant, le premier enfant du couple. Dans mon roman, il décédait étranglé par un inconnu. Et si Corentin n’était pas victime de mort subite ? Et si en réalité il avait été étranglé ? Mais ce qui m’a mis la puce à l’oreille est la date de la mort d’Elliot. Trois mois jour pour jour. Exactement comme dans le livre. Et cette fois-ci dans les mêmes circonstances. J’avais fait passer le meurtrier par la fenêtre de la chambre de l’enfant. Ça ne pouvait pas être un hasard. Impossible.

 

Je me remémorais l’histoire que j’avais écrite. Dans mon roman, tous les protagonistes étaient abattus par un cinglé tout droit sorti de prison. Le chien, les deux enfants du couple. Il n’y en avait que deux. Au moins, Lucas ne risquait rien. Puis… le père. Mon Dieu, Damien !

 

Furieux, il était parti se réfugier dans le garage. Exactement là où le père mourait dans mon roman. Ces derniers jours, nous ne nous parlions plus. Il ne supportait plus mes hypothèses, mes recherches incessantes pour découvrir le meurtrier de notre fils. Il s’isolait dans le garage quand quelque chose n’allait pas. Il bricolait pour se changer les idées.

 

Il fallait que je le voie. Pour m’assurer qu’il aille bien. Je descendis les escaliers, traversai le salon et m’engouffrai dans le garage.

 

 

 

Je me retrouvai face à Lucas.

 

 

 

Il tenait la seule arme de la maison. Elle aurait dû être rangée tout en haut de l’armoire de mon bureau. Elle aurait dû lui être inaccessible vu sa petite taille.

 

-          Coucou maman, me lança – t –il avec un sourire effrayant

 

-          Lucas, que fais –tu avec cette arme ? Où est ton père ?

 

-          Papa ? Viens voir par toi – même.

 

Je contournai la voiture. Damien devait être entrain de faire de la mécanique. Il était étendu sur une planche à roulette sans doute pour accéder sous la voiture. Son crâne était complètement explosé. A côté de son corps inerte reposait un marteau ensanglanté.

 

-          Que s’est-il passé ? Lucas !

 

-          Je l’ai tué.

 

-          Qu’as-tu dit ?

 

J’étais horrifiée par les propos de mon fils. Ça sortait de sa bouche et pourtant ça paraissait irréel. Il n’avait que huit ans. J’avais toujours veillé à ce qu’il ne tombe pas sur des images choquantes lorsqu’il regardait la télévision. Il n’avait jamais eu accès à ma bibliothèque personnelle qui contenait mes livres, mes romans policiers.

 

-          j’ai tué Looping aussi. Et Corentin puis Elliot. J’avais juste à reproduire les images.

 

-          Quelles images Lucas ?

 

-          Les images que je voie dans mes rêves. Depuis tout petit, je faisais ces rêves. Mais quand j’ai vu Looping dans le jardin, elle m’a dit que c’était le bon moment.

 

-          Elle ?

 

-          La petite voix dans ma tête. Puis, elle m’a aussi dit comment tuer Corentin. C’était facile. Il suffisait d’un coussin.

 

 

 

Pourtant, dans mon livre, le premier enfant mourait étranglé. Comment Lucas aurait pu imaginer pareil crime ? Mais… non… ce n’est pas possible…

 

Pendant ma grossesse… pendant que j’attendais Lucas… j’avais imaginé cette possibilité. Je m’en souvenais maintenant. J’avais imaginé que le premier bébé du couple était mort étouffé par un inconnu à l’aide d’un coussin. Mais j’avais préféré l’étranglement. Plus sanglant. Moins banal. Et si… et si Lucas avait visualisé pendant toutes ces années les images que je m’étais moi-même imaginées pendant ma grossesse lors de la confection de mon roman. Après tout, j’avais imaginé la scène au sein même de notre maison. Lucas était devenu agressif avec la naissance des jumeaux. Ces jumeaux représentaient alors les deux enfants du couple de mon roman. Notre vie ressemblait à celle de mes personnages dorénavant. C’était donc ça l’élément déclencheur, la naissance des jumeaux.

 

-          Mon chéri, tu es malade, murmurai-je à Lucas.

 

-          Je sais ce que je dois faire. Tais-toi. Laisse-moi faire.

 

Lucas n’était plus avec moi. Il recommençait à se parler à lui-même. En fait, non. Il avait toujours parlé à cette petite voix et non tout seul.

 

J’avais engendré une bombe à retardement. Mon imagination était ancrée dans les gênes de ce fils qui avait décimé toute ma famille. Il avait tué son père de sang froid. Et je savais ce qu’il ferait maintenant. C’était trop tard.

 

Coup de feu.

 

Un sourire diabolique. Du sang. Une image. Un livre tâché de sang : L’enfant perdu. 

 

 



13/03/2013
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 17 autres membres